samedi 19 octobre 2013

Esprit des lieux, es-tu là?

C’est un lieu achevé et pourtant en attente... Un théorème de pierre et d’eau, entre la rivière mouvante et la roche attentive. La roche est noire, striée de roux, la rivière a des éclats d’or. La rivière lèche la roche, se love et tressaille. Un trait turquoise parfois jaillit au-dessus de l'eau, c’est un martin-pêcheur.
Une avalanche de basalte venue du volcan rencontra la rivière il y a maintenant un million six cent mille ans et elles s’unirent en cette caresse que berce continûment le chant du radier.
Et c’est là, à quelques encablures de l’abri du passeur, que le grand sauvage traversa la rivière un jour de crue avec un enfant sur l’épaule et s’aidant d’un bâton. Il passa les troncs noyés des aulnes, il passa le flot boueux, il prit pied sur la roche, il déposa l’enfant et l’enfant bénit de sa main levée. Puis le monde reprit sa ronde tournante, qu’il avait suspendu un instant pour cette épiphanie. La crue de novembre fut bue lentement par les champs et les fossés, et passèrent l’hiver et le printemps, puis vint l’été.

À la saison d’été les baigneurs arrivent en famille dès le matin depuis Chanteuges ou Langeac. Passent des canoës aux couleurs criardes. Les adolescents se jettent le défi de sauter du haut de la pierre noire dans la rivière. Les adultes restent assis sur les galets, profitant du plaisir simple de recevoir la chaleur du soleil, l’alternant avec la fraîcheur de l’Allier et regardent leurs enfants jouer en s’éclaboussant, faire des pâtés de sable ou entasser des cailloux. Parfois ces cailloux, lancés par une main sûre, font de longs ricochets à la surface de l’eau. Les pêcheurs en fin de journée s’installent au milieu du flot pour le «coup du soir» jusqu’à ce que la nuit vienne napper de sombre ce coin du monde et que le cri de la hulotte retentisse dans la forêt.

Certaines nuits très étoilées, le souvenir du grand sauvage à tête de chien reflue sur la rive, comme une passerelle jetée sur l’abîme du temps. Des épousailles furtives de l’antique géologie et de la légende nait cette ponctuation de l’espace qu’est le lieu, l’endroit où cela a eu lieu, le lieu de l’apparition.

Le lieu, écrit Martin de la Soudière (in lignes secondaires / Créaphis), «est à l’étendue ce que l’instant est à la durée». Dans cette intensité spatio-temporelle, le temps peut s’abolir, le monstre mythologique prendre place dans le paysage, le métamorphosant alors en une porte vers d’autres espaces, ceux de l’imaginaire et même d’“échelle vers le ciel», arbre cosmique, qui, comme chacun sait, est toujours planté au centre du monde.

Le lieu est donc un endroit où le temps s’abolit, un endroit qui est aussi un envers, un «revers du monde». Portail spatio-temporel, comme une pincée du temps mythique déposé sur la géographie, il fait raccord avec d’autres lieux, d’autres histoires et nous ramène aux origines, in illo tempore.


1 commentaire:

  1. bonsoir !
    je vous retrouve au détour d'un chemin virtuel. quel plaisir !
    je mets le lien dans le blog du réprouvé
    promenez vous bien
    élisabeth calandry
    www.lereprouve.blogspot.com

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